8 janvier 2012

Ferdinand Buisson, L'enseignement intuitif (Paris, 1878)

... La méthode intuitive, Messieurs, c’est celle qui dit au maître : Votre tâche devient de jour en jour plus lourde et plus compliquée. Pour la remplir, il faut vous faire aider. Par qui ? Par de bons livres, de bons procédés, de bons programmes ? Oui, sans doute, mais plus encore par l’élève lui-même. C’est votre plus sûr auxiliaire, votre collaborateur le plus efficace. Faites en sorte qu’il ne subisse pas l’instruction, mais qu’il y prenne une part active, et vous aurez résolu le problème. Au lieu d’avoir à le faire avancer malgré lui en le traînant par la main, vous le verrez marcher joyeusement avec vous. ...

 CONFÉRENCE SUR L’ENSEIGNEMENT INTUITIF
PAR M. BUISSON, Inspecteur général de l’instruction publique. (31 AOÛT 1878)
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La séance est ouverte à 9 heures du matin, M. Daclin, sous-chef du cabinet du ministre, explique à l’assemblée que M. Guillaume, directeur des Beaux-Arts, qui devait faire aujourd’hui une conférence sur l’enseignement du dessin, s’en est trouvé empêché au dernier moment par l’état de sa santé, C’est hier soir, seulement, qu’on a prié M. Buisson d’avancer d’un jour sa conférence, ce qu’il a bien voulu accepter, quoiqu’il eût compté sur cette journée pour achever sa préparation.
La parole est donnée ensuite à M. Buisson,

M. BUISSON, Inspecteur général de l’Instruction publique.
— Cette réunion, Messieurs, vous le savez, est la dernière de la série des conférences pédagogiques auxquelles M. le Ministre, déférant au vœu des Chambres, vous a conviés de tous les points de la France.
C’est assez vous dire combien ma tâche est lourde.
Appelé à prendre la parole devant vous après tant de maîtres éminents, comment clore dignement une telle suite de leçons? Comment échapper à des comparaisons qui ne peuvent que m’être redoutables? J’aurai besoin, vous le sentez comme moi, de toute votre bienveillance, et de quelque chose de plus. En dehors même de la circonstance qu’on vient d’alléguer comme une sorte de titre à votre indulgence, l’étendue, la difficulté du sujet qui m’a été attribué par la Commission, suffiraient à vous expliquer un embarras et une inquiétude que je ne chercherai point à dissimuler.
Et pourtant, faut-il le dire? la Commission a eu raison de placer en tout dernier lieu, et comme pour servir de cadre à une récapitulation des excellentes leçons que vous avez entendues, l’élude de l’enseignement intuitif. C’est là, en effet, une des questions de méthode les plus générales, celle peut-être qui, intéressant au plus haut degré toutes les parties de l’enseignement primaire, était le plus naturellement indiquée pour une sorte de leçon finale qui ne fera, pour ainsi dire, que résumer les divers enseignements que vous avez recueillis. Puisse-t-elle seulement, en les répétant, ne pas trop les affaiblir !
Nous allons, vous le voyez, nous engager, sinon sur un terrain brûlant — il n’y en a pas proprement en pédagogie, — du moins sur un terrain semé d’épines. La nature de l’intuition, son rôle, la portée et le vrai caractère de la méthode intuitive, ce sont autant de points sur lesquels les esprits sont encore très-divisés. Je ne sais si j’aurai le bonheur de me rencontrer toujours avec vous dans mes appréciations ; mais je vous demande la permission de vous exposer en toute liberté les opinions que je crois justes, convaincu que de l’accord ou du choc des idées, entre gens qui s’entretiennent des choses de leur métier, il ne saurait manquer de résulter quelque bien.

Donnons d’abord la parole aux partisans absolus de l’enseignement intuitif, je veux dire ceux qui embrassent dans un même amour la méthode et les procédés d’enseignement par intuition. — À les entendre, la France presque seule s’est attardée dans un vieux système d’éducation et d’enseignement, système qui a été général autrefois, qui a eu sa raison d’être, mais qui, depuis la fin du XVIIIe siècle, a perdu son crédit chez d’autres peuples ou plutôt, disent-ils, chez presque tous les peuples civilisés. Partout, sauf en France, la méthode scolastique très-lourde, très-pédante, très-sèche, a disparu; une grande idée s’est fait jour dans les esprits et a pénétré dans les écoles; cette idée, c’est celle-ci : toutes nos connaissances viennent des sens, par conséquent toute instruction doit être faite par les sens. Rien de plus simple. Et l’on nous cite tout d’une haleine les grands noms de Locke et de Condillac, puis de Rousseau, de Pestalozzi, de Basedow, de Campe, de Froebel, de Diesterweg et de tous les pédagogues qui ont fait l’honneur de l’Allemagne depuis trois quarts de siècle. Tous, dit-on, et avec eux les Suisses, les Américains, les Italiens, que sais-je encore? tous ont vu là le salut; ils ont reconnu que l’enseignement qui convient à l’école populaire, c’est essentiellement celui qui se lait par voie de démonstration sensible, visible, palpable, l’enseignement par les yeux. C’est ce mode d’enseignement qui donne à l’école moderne ses deux caractères distinctifs : d’une part, un certain aspect aimable et presque gai, des études qui se font presque en jouant, une école où l’enfant se plaît, une éducation d’où l’effort et la contrainte sont bannis; et, d’autre part, ce second caractère non moins frappant, que tout l’enseignement est pratique, usuel : on n’apprend aux enfants que ce dont ils auront à se servir. A quoi bon les théories en grammaire et en arithmétique ? A quoi bon les règles générales, les considérations savantes dont on s’est plu à hérisser toutes les études primaires, depuis le calcul jusqu’à la géographie ? Donnez-leur donc une bonne grammaire usuelle, de l’arithmétique commerciale, de la géographie commerciale ; en un mot tout un enseignement simple, utilitaire, positif.
Vous avez tous lu, Messieurs, en ces termes ou des termes semblables, ce panégyrique de l’enseignement par les moyens sensibles et par les « procédés rapides ».
Convenons d’abord de tout ce qu’il y a de fondé et de légitime dans cette thèse.
Il est parfaitement vrai que depuis la fin du XVIIIe siècle on a cherché et qu’on a réussi à simplifier, à populariser l’enseignement; que cette réaction contre la routine scolastique était de toute nécessité ; il est parfaitement vrai que Rousseau, par exemple, démontrant qu’il faut commencer toute l’éducation par l’éducation des sens, a dit une de ces vérités auxquelles nul aujourd’hui ne peut plus s’opposer. Observons seulement (sans y insister, ce n’est pas le lieu) qu’avant Rousseau, et précisément en France, Montaigne, Rabelais, Fénelon, Rollin, — je me borne à citer leurs noms, parce que vous avez présentes à l’esprit les citations qu’on en pourrait faire, — avaient protesté contre l’abus de l’abstraction dans l’enseignement, avaient demandé pour l’enfant autre chose que la « science livresque ».
Mais, après avoir reconnu la légitimité de cette révolution pédagogique qui tend à substituer, comme on l’a dit, le réalisme au verbalisme, il faut pourtant marquer les limites qu’elle ne peut franchir.
Il suffirait, pour les faire voir, de rappeler ce qu’est, ce que doit être l’enseignement primaire. Si l’on ne demandait à l’instituteur que de diriger l’éducation du cœur, de l’intelligence, du caractère, le problème serait beaucoup plus simple. Mais, sans lui permettre de négliger l’éducation, on exige, et c’est même le résultat le plus apparent de son enseignement, qu’il fasse acquérir à ses élèves une instruction déterminée. Il doit leur faire faire l’apprentissage d’un certain nombre de connaissances techniques qu’on pourrait appeler des connaissances instrumentales, parce que, sans être par elles-mêmes des sciences, elles sont l’instrument indispensable de communication avec nos semblables. Lire, écrire et compter, c’était pour nos pères tout le bagage de l’instruction populaire ; je ne sache pas qu’on prétende supprimer aucun de ces trois longs apprentissages. Bien loin de là, on y a ajouté plusieurs autres objets d’enseignement qui sont aussi très-nécessaires, je m’empresse de le dire, la grammaire, la géographie, l’histoire, le chant, le dessin, et on y ajoutera, je l’espère, une étude qui vous a été si bien recommandée et que la plupart des pays ont reconnue depuis longtemps comme partie intégrante de l’enseignement primaire : des notions d’histoire naturelle. Depuis cinquante ans, le programme n’a cessé de s’enrichir et aujourd’hui, bien loin de tendre à le réduire, on vous demande encore de l’étendre.
Or, toutes ces connaissances, si élémentaires qu’on les suppose, pourra-t-on les faire acquérir aux enfants du premier coup, par un enseignement toujours facile, à l’aide d’images, de tableaux, d’appareils qui ne leur laissent que la peine de regarder, ou sous la forme de ces conversations enjouées, de ces causeries amusantes qu’on nous présente aujourd’hui comme l’idéal de l’éducation ? Je ne le crois pas.
Pour enseigner, et surtout pour enseigner efficacement tant de choses en si peu de temps, il y a une nécessité que vous connaissez par une pratique constante : il faut pousser l’enfant, et, au lieu de le laisser flâner, passez-moi l’expression, sur le chemin de la science, il faut le forcer à avancer. Vous y êtes obligés par la nature des choses, par l’étendue des programmes qui nous sont imposés, par le niveau des examens.
On vous a dit ici même avec une grande autorité : Pourquoi tourmenter vos élèves de tant de difficultés grammaticales, de tant de règles qui vraiment ne leur sont pas indispensables? Vous pourriez répondre : Mais que MM. les examinateurs commencent ! Vous ne demanderiez pas mieux, j’en suis bien certain, que d’alléger la tâche des enfants et la vôtre en même temps; mais êtes-vous sûrs, par exemple, que les commissions d’examen seraient toujours de l’avis de l’éminent professeur qui vous disait l’autre jour si spirituellement : À quoi bon faire épuiser aux enfants toutes les subtilités de l’orthographe de vingt et de cent, de tout, même, quelque et des règles du participe passé suivi d’un infinitif ? Ce serait là peut-être une innovation salutaire ; mais quel maître oserait en faire courir le risque aux élèves qu’il présente au certificat d’études ? S’il y a une réforme à faire en ce sens, ce n’est pas à vous qu’il faut la demander, mais à ceux de qui vous dépendez et de qui dépend l’instruction primaire. (Applaudissements.)
D’ailleurs, quelque sage réduction qu’on apporte à l’excessive difficulté de certaines parties du programme, il en restera toujours assez pour que ce soit une chimère d’espérer que l’instruction dans les écoles se donne et se reçoive comme en jouant. Disons plus, cette chimère n’est pas souhaitable. Si nous devions arriver un jour à ce résultat que l’idée de l’effort, l’idée de la peine et du travail vînt à disparaître de l’école, ce jour-là, Messieurs, la même idée serait bien près de disparaître aussi de la
société. Et une société à qui la loi du travail et de la souffrance est devenue insupportable, c’est une société mûre aujourd’hui pour l’anarchie et demain pour le despotisme. (Vifs applaudissements.)
Mais ne nous bornons pas à cette réponse sommaire. Voyons de plus près en quoi consiste la méthode intuitive, comment on l’applique ailleurs, comment on peut l’appliquer chez nous, et s’il est bien vrai qu’elle prétende, en philosophie comme en pédagogie, tout ramener aux sens.
Le mot intuition, qui n’est pas encore d’un usage très-commun, est un mot parfaitement formé, qui appartient à notre bonne langue[1], et comme tous ceux qui expriment un fait très-simple, il est plus facile à comprendre qu’à définir. C’est ici même, Messieurs, si je ne me trompe, c’est à la Sorbonne qu’il a fait son entrée dans l’enseignement officiel, vers 1817, avec tout l’éclat qu’avait alors la parole de M. Cousin. L’intuition, c’est l’acte le plus naturel et le plus spontané de l’intelligence humaine, celui par lequel l’esprit saisit une réalité, sans effort, sans intermédiaire, sans hésitation. C’est une « aperception immédiate», qui se fait d’un seul coup d’œil en quelque sorte. S’agit-il d’une réalité matérielle ? Les sens la perçoivent aussitôt : c’est le cas le plus simple, le plus familier, le plus facile à remarquer. S’agit-il d’une idée, d’une vérité, de réalités enfin qui ne tombent pas sous les sens? nous disons encore que nous les saisissons par intuition lorsqu’il suffit à nôtre esprit qu’elles se présentent à lui pour qu’il les affirme et les comprenne, sans le secours du raisonnement et de la discussion. Nous procédons par intuition toutes les fois que notre esprit, soit par les sens, soit par le jugement, soit par la conscience, connaît les choses avec ce degré d’évidence et de facilité que présente à l’œil la vue distincte d’un objet. Ainsi l’intuition n’est pas une faculté à part, ce n’est pas quelque chose d’étranger et de nouveau dans l’âme humaine. C’est l’âme humaine elle-même apercevant spontanément ce qui existe en elle ou autour d’elle.
De là, trois sortes d’intuitions ou plus exactement trois domaines dans lesquels l’intuition peut s’exercer sous des formes diverses, mais toujours avec les mêmes caractères essentiels : l’intuition sensible, c’est celle qui se fait par les sens; l’intuition mentale proprement dite, celle qui s’exerce par le jugement sans l’intermédiaire ni de phénomènes sensibles ni de démonstration en règle ; enfin l’intuition morale, celle qui s’adresse au cœur et à la conscience.
Ces trois intuitions ou plutôt ces trois noms de l’intuition embrassent les diverses parties de l’activité intellectuelle de l’homme à l’état instinctif, pour ainsi dire. Juger par intuition, c’est presque juger d’instinct.
Par ce rapide exposé, vous voyez tout de suite en quoi notre définition française de l’intuition diffère de celle des philosophes allemands, et vous pressentez que la méthode intuitive qui en dérivera ne sera pas celle qui attend tout des sens. L’usage a prévalu en Allemagne, malgré de hautes et notables exceptions, de ne prendre le mot intuition (Anschauung) que dans le sens de l’intuition sensible, et par conséquent de faire consister l’enseignement intuitif dans ce qu’on a nommé chez nous l’enseignement par l’aspect ou par les yeux. Nous, au contraire, sans diminuer la part de ce genre d’enseignement, nous croyons que l’intuition a bien d’autres services à rendre.
La méthode intuitive, telle que nous la comprenons, est celle qui en tout enseignement fait appel à cette force sui generis, à ce coup d’œil de l’esprit, à cet élan spontané de l’intelligence vers la vérité. Elle consiste non dans l’application de tel ou tel procédé, mais dans l’intention et dans l’habitude générale de faire agir, de laisser agir l’esprit de l’enfant en conformité avec ce que nous appelions tout à l’heure les instincts intellectuels.
La méthode intuitive, Messieurs, c’est celle qui dit au maître : Votre tâche devient de jour en jour plus lourde et plus compliquée. Pour la remplir, il faut vous faire aider. Par qui ? Par de bons livres, de bons procédés, de bons programmes ? Oui, sans doute, mais plus encore par l’élève lui-même. C’est votre plus sûr auxiliaire, votre collaborateur le plus efficace. Faites en sorte qu’il ne subisse pas l’instruction, mais qu’il y prenne une part active, et vous aurez résolu le problème. Au lieu d’avoir à le faire avancer malgré lui en le traînant par la main, vous le verrez marcher joyeusement avec vous.
Messieurs, la méthode intuitive n’a pas d’autre secret; elle traite l’enfant comme un être qui a en lui-même l’instinct du savoir et toutes les facultés nécessaires pour l’acquérir ; elle s’applique à laisser faire la nature autant que possible. Sans doute la nature ne se suffira pas toujours, mais au moins ne faut-il pas la rebuter; c’est ce qui distingue l’éducation du dressage ; l’une développe en réalité des dispositions naturelles, l’autre n’obtient que des résultats apparents à l’aide de procédés mécaniques,
Ces principes posés, sans prétendre les appliquer à tout le détail des matières scolaires, il suffira de quelques explications sommaires sur chacune des trois formes de l’intuition - sensible, intellectuelle et morale, pour fixer les caractères distinctifs de la méthode et pour vous rappeler des notions qui vous sont déjà familières,

I. — L’INTUITION SENSIBLE


L’application la plus ordinaire de la méthode intuitive dans l’ordre sensible est bien connue dans l’enseignement primaire, c’est la leçon de choses.
La leçon de choses, il nous est impossible d’en parler sans nous reporter immédiatement au souvenir de Pestalozzi. Vous vous rappelez tous ce qu’ont raconté des témoins oculaires de leurs visites à l’institut d’Yverdon, et cette tapisserie en lambeaux sur laquelle le vieux maître montrait à ses élèves des figures géométriques ; « Que vois-tu là ? demandait-il à l’un d’eux. — Je vois un trou dans le mur. — Ce n’est pas un trou et ce n’est pas dans le mur, tu vois une fente dans la tapisserie. Répétez cela. » Et toute la classe répétait : « Je vois une fente dans la tapisserie. — Comment est-elle ? est-elle large ? — Non. — Elle est… le contraire de large? » Ils ne savent pas le mot, il le leur apprend : « Je vois une longue et étroite fente dans la tapisserie… Et que voyez-vous à travers ? — A travers la longue et étroite fente de la tapisserie je vois le mur. » — Et ainsi se prolongeait cet exercice qui, je n’ai pas besoin de le dire, devenait bien vite singulièrement fastidieux, Les enfants, quelque respect qu’ils eussent pour Pestalozzi, se lassaient et finissaient par l’écouter d’une oreille distraite, Eh bien! si bizarres et si pauvres que soient ces débuts de la leçon de choses, vous n’êtes pas tentés d’en rire ; car vous vous souvenez que ceux qui nous racontent cette scène nous racontent aussi qu’un jour, quelques instants après la leçon finie, l’un d’eux trouva Pestalozzi au fond de son jardin la tête dans les mains, pleurant comme un enfant et se reprochant avec amertume de n’avoir pas su mieux faire !
L’antiquité nous a appris à respecter le noble délire d’un savant qui, ayant découvert une loi physique, s’élançait comme un fou dans les rues de la ville en s’écriant : « J’ai trouvé ! » Ne trouvez-vous pas quelque chose de plus noble et de plus respectable encore dans le désespoir de ce vieillard qui, ayant usé sa vie à chercher le moyen de rendre l’homme meilleur par l’éducation, s’écrie dans un accès de douleur : « Je n’ai pas trouvé. » C’est par là, Messieurs, que Pestalozzi était Pestalozzi. Ce n’est pas par tel ou tel procédé, c’est par la méthode; disons mieux, ce n’était même pas par la méthode, c’était par le cœur. Le mot de Vauvenargues n’est nulle part plus vrai qu’en pédagogie : « Les grandes pensées viennent du cœur. » (Applaudissements.)
D’ailleurs il n’était permis qu’à Pestalozzi lui-même de trouver qu’il n’avait pas réussi. Il avait parfaitement saisi et fixé les points essentiels de la réforme ; elle était tout entière, on peut le dire, dans la première de ses maximes: « les choses avant les mots, l’éducation par les choses, et non l’éducation par les mots ».
C’était là une inspiration de génie; malheureusement elle ne tarda pas à se figer, à se matérialiser : la lettre a tué l’esprit ; et de là la longue histoire, que je ne vous redirai pas, des transformations successives de l’enseignement intuitif en Allemagne. Sans repasser par toutes les péripéties qu’a subies le système depuis les premiers pestalozziens jusqu’à nos jours, cherchons à nous rendre compte de ce que doit être la leçon de choses: celui qui en entendra bien l’esprit, n’aura pas de peine à imaginer les procédés convenables. N’oublions pas, Messieurs, que nous sommes du pays de Descartes et que, comme lui, au lieu de nous encombrer de la stérile abondance de l’érudition, nous avons toujours le droit de remonter aux sources, et d’étudier directement les choses en elles-mêmes à la lumière de notre raison.
Quel est le but de la leçon de choses ? — C’est d’apprendre aux enfants avant tout à observer les choses ; puis à les nommer ; enfin et par là même à les comparer.
Rien de plus simple ni de plus clair. Pestalozzi lui-même avait très-bien distingué les trois éléments de l’intuition : le nombre, la forme, le nom : Combien d’objets ? Comment sont-ils ? Comment s’appellent-ils ?
Les enfants ont-ils besoin qu’on les exerce ainsi à l’observation ? Ceux qui en douteraient feront bien de relire ces pages où Rousseau a si bien montré que l’enfant abandonné à lui-même ne sait pas observer. «Exercer ses sens, dit-il, ce n’est pas seulement en faire usage, c’est apprendre à bien juger par eux et en quoique sorte à bien sentir : car nous ne savons ni toucher, ni voir, ni entendre que comme on nous l’a appris.» — Voulez-vous me permettre de vous citer un témoignage plus moderne, d’autant plus intéressant pour vous qu’il n’a pas été écrit à votre intention? C’est une page d’Alphonse de Candolle.
« La qualité de savoir observer, dit M. de Candolle, est indispensable pour ainsi dire à tout le monde. Nous en sommes doués dès notre enfance à un degré remarquable. Que fait-on ensuite dans les écoles pour développer cette précieuse faculté ? A peu près rien, Que fait-on au contraire pour l’entraver ? Enormément. Pour le prouver, j’invoque le témoignage de ceux qui, comme moi, ont enseigné les sciences naturelles à des jeunes gens de 18 à 20 ans. Ils diront combien il est fréquent de voir de bons élèves, quelquefois les meilleurs pour l’ensemble des études, qui ne savent pas remarquer les choses les plus visibles dans un objet matériel. Pour en bien juger, il faut demander à l’un d’eux de décrire une plante de vive voix. J’en ai connu qui ne regardaient pas même l’échantillon mis entre leurs mains. Ils cherchaient dans leur tête, et, rappelés à l’observation, ne savaient pas voir si les feuilles étaient en face les unes des autres ou situées à des hauteurs différentes le long de la tige,
«  A cinq ou six ans ils avaient peut-être mieux vu, mais pendant nombre d’années on les avait occupés uniquement de choses abstraites ou internes : grammaire, mots de plusieurs langues, calcul, histoire, religion, poésie. S’ils avaient appris quelque chose des faits d’histoire naturelle, c’est dans les livres. S’ils avaient regardé par ordre d’un maître quelque détail de forme, c’est dans les leçons de dessin, et encore en copiant les modèles.
« Les premières études, dont le but logique devrait être de développer tontes les facultés naturelles de l’enfant, se font presque toutes dans le sens de développer la réflexion abstraite, la mémoire et l’imagination. On oublie l’observation. On oublie aussi que la faculté d’observer n’est pas seulement le fait de regarder, mais de graver dans la mémoire, de comparer et de réfléchir pour tirer des conclusions qui soient vraies.
« Donc observer est une opération à la fois des yeux et de l’esprit très-compliquée. Elle ne rend pas l’enfant léger ; au contraire. Elle ne contrecarre aucune de ses facultés, si ce n’est l’imagination, dont il a souvent plus qu’il ne faudrait, Elle favorise la mémoire, l’attention et le raisonnement. Si les instituteurs la craignent, c’est qu’ils ne la comprennent pas, ou ne savent pas la diriger. Les jeux d’adresse, les excursions et, il faut le dire, l’école buissonnière, aident l’enfant à ne pas perdre absolument l’usage de ses yeux. S’il vit à la campagne, il ne manque pas d’occasions d’observer; mais à la ville, surtout dans une grande ville, c’est tout autre chose ; le hanneton captif est le seul animal qu’il puisse examiner, et encore ce n’est que tous les quatre ans ! »
Cette spirituelle critique de l’éducation des collèges n’est guère moins applicable à l’école primaire. Qui le sait mieux que vous, Messieurs ? Quelle peine n’avez-vous pas à obtenir que l’enfant regarde ce qu’il voit tous les jours ? Contractée dans l’enfance, cette paresse des facultés d’observation devient comme une seconde nature. C’est pour cela qu’il est souvent si difficile de recueillir un témoignage précis sur le fait le plus simple. Demandez à beaucoup de Parisiens de quelle espèce d’arbres est planté le boulevard où ils se promènent tous les jours, ils ne sauront pas vous le dire, ils ne l’ont jamais observé[2]. Et, ce qui est plus surprenant encore, le paysan, sur les choses mêmes de la nature, n’a pas les yeux plus ouverts : ou bien il n’a jamais eu l’idée d’examiner curieusement les objets qui l’entourent, ou bien il ne sait pas le nom qui les désigne et il ne le cherche pas.
C’est cette incuriosité, véritable rouille de l’intelligence, que l’éducation doit combattre avant tout. « Il faut, disait déjà Fénelon en y faisant allusion, il faut remuer promptement tous les ressorts de l’âme de l’enfant pour le tirer de cet assoupissement, »
Eh bien ! la leçon de choses est précisément l’exercice imaginé pour réveiller et pour aiguiser ce sens de l’observation. A tout âge, à tous les degrés de l’enseignement, elle vient nous mettre en présence des choses, nous forcer à les voir, à les toucher, à les distinguer, à les mesurer, à les comparer, à les nommer, à les connaître enfin autrement que par ouï-dire.
Si tel est bien le but essentiel de la leçon de choses, quel procédé convient-il d’y appliquer ? Évidemment celui qui en fera le plus sûrement un exercice profitable « d’observation par les yeux et par l’esprit ».
Il y a deux systèmes : l’un fait de la leçon de choses un exercice à part, ayant son heure réservée dans le programme, ayant son cadre systématique et en quelque sorte son formulaire tracé d’avance; l’antre, au contraire, mettant la leçon de choses partout et dans tout, ne l’inscrit nulle part comme leçon distincte. Lequel de ces deux systèmes vaut le mieux ? Je vous en fais juges.
Ouvrons un de ces livres de leçons de choses ou manuels d’enseignement intuitif, si nombreux en Allemagne et qui commencent à se répandre chez nous. J’en prends un, non pas au hasard, mais un des meilleurs en français, à ma connaissance, et dont l’auteur est un directeur d’école normale qui a une longue expérience, beaucoup d’instruction et encore plus de dévouement. Voici ce qu’il nous offre comme « modèle à imiter librement » pour faire faire, « de vive voix d’abord, puis dans de petites compositions écrites, la description des objets par des enfants de 9 à 12 ans » :

« La description de chaque objet se fera généralement d’après le plan suivant :
Genre de l’objet (classification, définition);
Parties de l’objet;
Qualités de l’objet : a) qualités générales, b) qualités des parties;
Nature de l’objet et de ses parties;
Utilité de l’objet (ses actes);
Ouvrier qui l’a fabriqué.
Ce plan est le même qui a été suivi dans les trois premières parties du cours : le maître et l’enfant devront se le graver dans la mémoire !
La description devant être faite d’abord sur un individu particulier, puis sur le genre, on procédera comme suit :

I. — MA RÈGLE.

1. Ma règle est un objet d’école.
2. Elle est sans parties.
3. C’est un prisme : elle a quatre côtés rectangulaires, deux bouts carrés, quatre arêtes longues et huit courtes.
Elle est droite, légère, polie et noire,
4. Ma règle est en bois.
5. Elle sert à régler, c’est-à-dire à tirer des lignes sur mon ardoise et dans mon cahier. On peut aussi s’en servir pour dessiner.
Ma règle peut glisser, tomber, se courber, se casser, vieillir.
6. Ma règle a été faite par le menuisier.

Cette description doit être exercée jusqu’à ce que l’enfant puisse la faire couramment.
Le maître fera remarquer que la règle n’est pas seulement un objet d’école, qu’on s’en sert dans les bureaux et dans d’autres lieux encore; la règle est un meuble.
Après ces explications, il fera faire la description de l’espèce ou du genre :

II. — LA RÈGLE (en général).

1. La règle est un meuble.
2. Elle est sans parties.
3. La règle est un prisme. Il y a aussi des règles plates avec une arête rabattue. La règle est droite, unie, blanche, brune, grise ou noire.
4. La règle est en bois, en fer, en laiton ou en argent.
5. On se sert de la règle pour tirer des lignes, pour dessiner, pour couper du papier.
6. La règle en bois est faite par le menuisier, celle en métal par le mécanicien.

On pourra décrire de la même manière les objets simples suivants : la touche, la canne, la perche, la planche ou planchette[3]. »
Il est possible que dans certains cas, pour certains enfants, chez d’autres peuples, des exercices de ce genre aient leur utilité, leur raison d’être ; ce que je ne crois pas, c’est qu’ils conviennent à nos enfants, Ils me semblent avoir des inconvénients qui compensent et au delà tous les avantages qu’on leur attribue.
D’abord par cette description minutieuse des objets, on ne leur apprend pas à observer. Enumérer et décrire méticuleusement les objets, ce n’est pas toujours le moyen de les faire bien voir. Les détails masquent l’ensemble. Et puis ce n’est pas tout de voir les choses, il faut surtout saisir l’esprit des choses ; et rien n’y prépare moins que l’habitude de dresser des inventaires : or, la leçon de choses que je critique n’est rien de plus qu’un inventaire ou un catalogue classant sous des rubriques déterminées un certain nombre de réponses sèches à des questions sans intérêt.
Vaut-elle mieux comme moyen d’apprendre à juger ? Je ne le pense pas. La forme stéréotypée de ces catégories toujours passées en revue dans le même ordre et forcément dans les mêmes termes, n’est pas autre chose qu’une recette pour penser artificiellement. Prenez le mieux fait de ces recueils d’exercices d’intuition ; je vous défie d’en lire deux pages de suite sans vous apercevoir de la différence qu’il y a entre la pensée produite ainsi dans un moule et par un procédé systématique, et la pensée vivante et vraie. Ces jugements tout faits ont bien la structure extérieure des jugements spontanés que l’enfant porte tous les jours; il n’y manque que... ce qui manque à la fleur artificielle pour être la fleur des champs.
Enfin, cet exercice apprend-il au moins à parler ? C’est, je crois, le mérite auquel il peut le moins prétendre. On veut apprendre des mots nouveaux à l’enfant, étendre son vocabulaire. A merveille, et ce n’est pas chose difficile, Mais parler, Messieurs, ce n’est pas enfiler des mots qui peuvent, à la rigueur, se laisser joindre les uns aux autres Quel est l’enfant de six ans qui s’aviserait d’entasser dans une même phrase toutes les épithètes qu’on peut accoler au nom d’une chose ou d’un animal ? Vous lui faites dire :
« La table est petite, vernie, brune, neuve, solide.
« Les arbres peuvent être : longs, bas, branchus, ramifiés, pointus,
feuillés, verts, jaunes, fleuris, secs, droits, inclinés.
« Les abeilles sont vivantes, utiles, courageuses, laborieuses, noirâtres, velues, ailées[4]. »

Quel rapport ont toutes ces qualités les unes avec les autres ? Vous voulez donc que l’enfant fasse des phrases comme on nous faisait faire des vers latins à l’aide de ce recueil précieux, le Gradus ad Parnassum, où se trouvait à la suite de chaque substantif une liste d’une douzaine d’épithètes et d’une demi-douzaine de synonymes à choisir suivant le besoin du vers ? Si, par malheur, l’enfant se laissait façonner par de tels exercices, il en viendrait à trouver très-correctes des phrases dans le goût de celle qui a fait le bonheur de tous les collégiens : « Le lapin est un animal timide... et nourrissant. »
Il n’y a pas de danger, dira-t-on, et j’en conviens. Le naturel prendra le dessus. Mais alors à quoi servent ces nomenclatures des qualités, des parties, des usages, des formes et de toutes les autres catégories que la logique distingue dans un objet quelconque ? Ne voyez-vous pas que la plupart du temps, pour le plaisir de répondre aux questions que le cadre comporte, vous faites parler l’enfant pour ne rien dire ? Voici une leçon sur le pigeon : on apporte un pigeon en classe, c’est très bien, et on le montre aux enfants. La première chose qu’on leur fait dire, c’est : « le pigeon a une tête. » Et toute la classe répète en chœur : « Le pigeon a une tête. » Il se peut que les petits enfants allemands prennent plaisir à la proclamation de cette vérité; mais chez nous, si un maître enseignait de cette façon, ses élèves, jusqu’aux plus petits, croiraient qu’il se moque d’eux, et ils le lui rendraient, soyez-en sûr.
Il ne faut pourtant pas être plus enfantin que l’enfance, plus naïf que la naïveté. La forme naturelle du langage du petit enfant, quand vous lui montrez un oiseau, ce n’est pas de dire niaisement : « 1° Cet oiseau a une tête; 2° cet oiseau a deux pattes ; 3° cet oiseau a deux ailes, » c’est de
s’écrier : « Oh ! la jolie petite tête! Oh ! comme il a de gentilles pattes, de belles plumes, de grandes ailes ! » Messieurs, n’essayons pas de refaire le cerveau des enfants. Ce ne sont pas des automates pensants et parlants, ce sont des enfants, demain des hommes comme nous. Ils ont besoin d’apprendre à parler, à juger, à regarder, mais ils n’ont pas besoin pour cela qu’on leur fasse faire pour ainsi dire l’exercice à la prussienne dans le domaine de la pensée. (Applaudissements.)
         Ce sont ces motifs qui ont inspiré chez nous, il y a longtemps déjà, une réaction contre l’abus de ces prétendus exercices d’intuition où il n’y a plus rien d’intuitif. Une femme d’un grand sens et d’un grand cœur, en avait pris l’initiative. Madame Pape-Carpantier (applaudissements), refusant de se plier à cette discipline intellectuelle par trop aride et par trop minutieuse, a cherché à faire de la leçon de choses française une leçon vivante, une leçon parlée et pensée. Mais, si remarquables que soient les exemples qu’elle nous a laissés, elle-même n’aurait pas voulu qu’on les prit servilement pour des modèles et qu’on s’appliquât à les calquer.
La seule bonne leçon de choses est celle que le maître fait lui-même, celle dont il trouve le sujet, les détails, le ton, le degré, la forme et le fond enfin, suivant l’âge et les connaissances de ses propres élèves. Lui seul peut l’approprier aux vrais besoins de son jeune auditoire. Si la leçon de choses n’est pas indéfiniment variable, souple et mouvante comme la parole et comme la pensée même, elle n’est qu’un article de plus dans le programme, un fardeau de plus pour la journée du maître et de l’élève. Pour qu’elle ait sur l’école la bonne influence qu’on en attend, il faut qu’elle soit l’âme de tout l’enseignement; il faut qu’elle y entre comme le levain dans la pâte, pour animer, remuer, échauffer la lourde et froide masse d’études techniques dont l’enseignement primaire ne sera jamais dispensé.
Je ne souhaite donc pas, — je vous l’avoue et permettez-moi de vous le dire en toute sincérité, — de voir la leçon de choses commencer et finir à heure fixe. Qu’elle se fasse tantôt à l’occasion de la leçon d’écriture ou de lecture, tantôt à propos d’une dictée, d’une leçon d’histoire, de géographie, de grammaire, etc. Qu’elle se fasse en deux minutes au lieu de vingt, elle n’en vaudra que mieux; souvent elle consistera non pas en une série de questions numérotées, mais en une question vive, précise, nette, qui provoquera une réponse semblable; souvent ce sera un croquis au tableau noir qui vaudra mieux que toute une description. Un jour la leçon de choses sera une visite au musée cantonal, à un établissement industriel, à un monument historique; ou bien une promenade topographique, ou une course dans les bois, une chasse aux insectes ou aux plantes. Une autre fois, en classe même, ce seront des exercices pris en dehors de tous les livres : on demande aux enfants, par exemple, d’apporter demain des feuilles de deux arbres qu’ils n’ont jamais peut-être pensé à distinguer, le poirier et le pommier, le pin et le sapin, ou telles espèces de peuplier ; ou bien c’est telle pierre, tel minéral, tel échantillon de bois, tel produit manufacturé qui se trouve dans la contrée, mais qui manque à notre petit musée scolaire : il doit toujours manquer quelque chose à un musée scolaire, et je ne serais pas fâché si l’on me disait que chaque génération scolaire est obligée de le reconstituer, pour ainsi dire à neuf, par ses propres recherches : le grand profit à tirer de ces petits musées de leçons de choses, ce n’est pas de les avoir, c’est de les faire.
A d’autres moments,— et il y faudra revenir souvent, car c’est une notion qu’on a de la peine à graver dans l’esprit des enfants, — on les exercera à s’orienter avec ou sans la boussole, à l’aide du soleil ou de l’étoile polaire.
On formera de même leur œil à la mesure et à l’évaluation approximative des longueurs, des distances, des superficies, des poids, des volumes. Il y a des élèves de nos lycées, très-forts en mathématiques, qui ne seraient pas capables d’estimer la contenance d’un champ, le poids
d’un sac de blé, ou le volume d’un tas de pommes de terre. Je voudrais que pas un élève ne sortît de l’école primaire sans avoir l’œil et le toucher sinon infaillibles, du moins parfaitement exercés à ces mesurages intuitifs ; c’est une des conditions pour que le dessin se généralise dans nos écoles.
Plus tard, quand les enfants ont ainsi l’esprit en éveil, on pourra passer de l’observation pure et simple des objets à l’observation suivie, régulière, à de petites séries d’expériences, qui demandent de la méthode : au printemps, par exemple, on leur fera suivre et noter jour par jour dans un aquarium ou dans la mare voisine la merveilleuse série des transformations des batraciens les plus communs, grenouille ou salamandre ; il y a en Suisse de petites sociétés de jeunes gens, de garçons de douze à seize ans, qui s’exercent ainsi avec beaucoup de délicatesse et de patience à faire des observations faciles d’histoire naturelle élémentaire. Une autre année, ou mieux plusieurs années de suite on leur fera remarquer dans quel ordre, à quelles dates précises les arbres se couvrent de feuilles, de fleurs, de fruits, et dans quel ordre inverse ils les perdent : combien de gens seraient embarrassés de vous dire lequel a le premier ses feuilles, le chêne ou le marronnier !
Mais en voilà plus qu’il ne faut pour montrer que la leçon de choses n’a pour ainsi pas d’autres bornes que celles de votre temps et de vos forces, Une seule recommandation résume toutes les autres : que la leçon de choses ne dégénère jamais en une leçon de mots; que ce soit toujours la chose elle-même qui fasse la leçon et non pas vous à propos de la chose.
Ce que les Américains appellent object lessons, ce n’est pas une leçon sur les objets, c’est une leçon par les objets eux-mêmes.

II. L’INTUITION INTELLECTUELLE.


Quelque importance qu’ait la leçon de choses bien faite ce n’est à mon sens que la première et peut-être la moins difficile application de la méthode intuitive. L’éducation des sens et l’éducation par les sens est bien le commencement de l’enseignement intuitif, mais il faudra qu’il s’applique ensuite aux exercices de l’intelligence, aux actes du jugement. C’est là que votre enseignement doit surtout être intuitif, et c’est là qu’il a le plus de peine à l’être.
Vous vous rappelez cette histoire que Rousseau raconte d’un Anglais qui avait confié son fils à un précepteur et qui après quelques années d’éducation voulut lui faire subir un examen. Il va voir l’enfant, l’emmène promener dans une plaine où des écoliers s’amusaient à guider des cerfs-volants. Le père, en passant, dit à son fils : Où est le cerf-volant dont voici l’ombre ? L’enfant répond sans hésiter, sans lever la tête : « Il est sûr la grande route. » En effet, dit l’Anglais, la grande route était entre nous et le soleil.
Voilà un exemple d’intuition intellectuelle ; et cette citation nous prouve, — pour le dire en passant, — que Rousseau lui-même n’avait pas tout réduit aux sens, pas plus que Pestalozzi, qui cherchant à résumer son système, lui assignait pour but a la culture des sens extérieurs et celle du sens interne ». L’intuition sensible, en effet, n’est bonne qu’à la condition de mener à l’intuition intellectuelle. Il faut apprendre à juger par les sens, mais précisément afin de pouvoir arriver à nous passer des sens. L’enfant qui faisait cette réponse très-sensée avait évidemment une grande force d’abstraction; il avait vu la chose en lui-même, il n’avait pas eu besoin de la chercher par les yeux, il avait procédé de prime saut, par la puissance de la réflexion, à la seule lumière de l’esprit, et c’est là le résultat d’une bonne éducation intellectuelle.
Pourquoi donc est-il si difficile de développer cette sûreté de coup d’œil intellectuel chez l’enfant ? Pourquoi les maîtres qui s’imposent tant d’efforts pour faciliter l’étude à leurs élèves obtiennent-ils si rarement ce résultat de voir l’intelligence des enfants éveillée, alerte, en plein exercice, en plein mouvement ? C’est peut-être qu’ils se préoccupent trop, disons-le à leur honneur, de procéder dans leur enseignement avec le plus de logique possible. Car enfin, bien que cela semble un paradoxe, il y a deux logiques, il y a la logique naturelle qui est la logique de l’enfant, et puis la logique réfléchie et savante qui est celle de l’adulte. Nous sommes si familiarisés avec cette dernière, que nous nous figurons toujours qu’elle est pour l’enfant ce qu’elle est pour nous-mêmes. En voulez-vous un exemple ou deux.
Un maître novice veut apprendre à lire à un enfant, il se rappelle aussitôt la fameuse maxime : il faut aller du simple au composé : — le simple, se dit-il, c’est un A, un B, un C; je vais donc apprendre à l’enfant d’abord l’A, le B, le C, toutes les lettres, puis leurs combinaisons deux à deux, trois à trois ; les lettres d’abord, puis les syllabes, puis les mots, puis les phrases. Cette marche est très-logique, elle est progressive, elle va du simple au composé. — Oui pour nous, mais non pour l’enfant, parce que l’enfant ne se meut pas comme nous dans l’abstrait, il ne se reconnaît bien que dans les réalités concrètes, sensibles, dont il a quelque expérience» Les sons , a et les signes P, A, lui sont bien moins accessibles que le mot papa. C’est que ce mot éveille une idée, représente quelqu’un à son esprit ; une syllabe coupée dans ce mot, une lettre isolée ne lui dit rien. Ce n’est pas simple pour lui, c’est vide de sens.
Pour arriver à décomposer le mot en un certain nombre de sons figurés par des signes, il a fallu un travail d’analyse que l’enfant n’a jamais fait et ne peut comprendre. Le point de départ pour lui, l’élément simple, indécomposable, ce dont il a l’intuition parfaitement nette, c’est à
la fois l’idée et le mot papa. Eh bien ! la méthode de lecture sera d’autant plus intuitive qu’elle le mettra plus vite en présence de mots réels, très-faciles, très-simples, - mais ayant un sens pour lui, de telle sorte que la lecture, au lieu d’être une suite technique d’exercices vocaux, s’éloigne le moins longtemps possible du langage parlé.
De même en géographie. C’est dans l’intention de suivre une marche logique que les maîtres et les livres d’autrefois commençaient invariablement par donner à l’enfant la définition de la terre ; puis on lui disait : « Le globe terrestre est divisé en eaux et en terres ; les eaux comprennent telles et telles parties, les terres telles autres, » et ainsi de suite. Ordre très-rationnel pour l’adulte mais l’enfant qui n’a jamais vu ni le globe terrestre, ni l’Océan, ni un détroit, ni un isthme, ni un golfe, ni le reste, ne trouve pas cela si simple que vous le croyez. Ce n’est pas le tout d’aller du simple au composé, il faudrait surtout, et cela importe bien plus, aller du connu à l’inconnu. Or, le connu pour lui, c’est son village ou sa rue, c’est la maison d’école, c’est le ruisseau qui coule près de la porte» la montée de la route où il Va jouer. Partez de là, et guidé par l’intuition, éclairé par l’analogie, il vous suivra sans effort aussi loin que vous voudrez.
Ainsi, Messieurs, en géographie, en lecture, en calcul, partout la méthode intuitive prend, en quelque sorte, le contre-pied de la méthode didactique faite pour les adultes : elle semble aller au rebours de la logique, parce qu’elle ne traite pas l’enfant comme un homme et le fait marcher de son pas, et non du nôtre.
Or, qu’y a-t-il de plus nécessaire, de plus légitime que cette condescendance du maître, cette appropriation de l’enseignement à l’état mental de l’élève ? Nous-mêmes, les idées abstraites et générales ne nous sont devenues familières que par une longue habitude, un long effort de concentration intellectuelle. En ce moment, vous me faites l’honneur de m’écouter. Pourquoi ? Parce que je vous parle de choses que vous comprenez et qui vous intéressent. Si l’on vous parlait hébreu ou chinois, vous n’écouteriez pas longtemps avec autant d’attention, Votre esprit ne saurait où se prendre, tandis qu’en ce moment il est très-occupé, il travaille autant que le mien; vous prenez une part active à cette conférence : intérieurement, vous acceptez ou vous rejetez, vous approuvez ou vous blâmez les idées que je soumets. L’enfant aussi sera attentif, et il vous écoutera, sinon très-longtemps, — il ne le peut pas, — du moins très-volontiers toutes les fois qu’il comprendra, toutes les fois que vous lui parlerez de sujets dont il saisit le sens, la liaison, la portée.
Tel élève, au milieu d’une longue récitation de bé, a, ba, bé, é, bé, ne suit qu’à moitié, tandis qu’il ne perd pas un mot de ce que lui dit tout bas son voisin, lui proposant d’échanger une toupie contre des billes, Mais c’est que cet échange est une affaire sérieuse qui a bien de quoi l’occuper : il comprend ce dont il s’agit là ; pour accepter, ou pour refuser, il fait acte de jugement, de comparaison, de raisonnement et de volonté, au lieu que les syllabes que vous lui faites épeler sont pour lui moins encore que ne serait pour vous un beau discours en chinois. Elles ne disent absolument rien à son imagination, à son cœur, à aucune de ses facultés ; elles n’intéressent absolument que son oreille; il prête donc l’oreille puisqu’il le faut, mais c’est tout ce que vous aurez de lui. Or, il faut que vous en obteniez autre chose : il faut qu’il vous écoute de toute son intelligence.
Est-il nécessaire, pour l’obtenir, que vous passiez votre temps à l’amuser, à le captiver par des histoires, par des images, par des jeux ? Ne le croyez pas. Il suffit de mettre son intelligence de la partie, et c’est le propre de la méthode d’intuition. Par nature, l’enfant n’est pas paresseux; c’est le plus grand des supplices pour lui que l’inaction, — et je dis l’inaction intellectuelle ; — il veut être non pas longtemps occupé de la même chose, mais toujours occupé de quelque chose. D’esprit comme de corps, il ne demande qu’à se sentir vivre, agir et grandir. Qu’il se sente vivre dans l’école, et il n’aimera rien plus que l’école. Plus vous demanderez à son intelligence, moyennant que vous la laissiez agir suivant ses lois naturelles, plus il sera heureux. « De toutes les qualités qu’on voit dans les enfants, dit quelque part Fénelon, il n’y en a qu’une sur laquelle on puisse compter : c’est le bon raisonnement. Il croît toujours avec eux, pourvu qu’il soit bien cultivé. »

Essaierai-je maintenant, Messieurs, de prendre l’une après l’autre les différentes branches du programme et de vous y montrer comme application de la méthode intuitive, le moyen de « bien cultiver ce bon raisonnement » inné chez l’enfant, c’est-à-dire « de le faire croître avec lui, » en faisant de plus en plus coopérer l’intelligence de l’enfant à l’œuvre de l’éducation ?
Ce serait recommencer toutes les leçons que vous avez entendues. Car que vous ont demandé l’un après l’autre ceux qui ont parlé ici avant moi, sinon d’employer en tout votre enseignement « les méthodes excitatrices de l’intelligence »? Quel but chacun d’eux vous a-t-il proposé pour la partie de programme qu’il traitait devant vous, sinon d’y réaliser le mot de Montaigne : faire que vos élèves aient la tête bien faite et non bien pleine ? Et vous demander cela, n’était-ce pas vous recommander ce mode d’instruction qui, prenant l’enfant où il en est, lui demande toujours de comprendre avant d’apprendre et compte moins pour le guider sur les procédés réguliers de la logique didactique que sur « cette lumière intérieure qui éclaire tout homme venant an monde », la raison naturelle, autre nom de l’intuition.
Du reste, s’il me fallait résumer les règles pratiques les plus essentielles de l’enseignement intuitif, je ne saurais mieux faire que de vous renvoyer à une page magistrale que vous me saurez gré de vous relire :
« Ménager les préceptes et multiplier les exercices ; ne jamais oublier que le meilleur livre pour l’enfant, c’est la parole du maître ; n’user de sa mémoire, si souple, si sûre, que comme d’un point d’appui, et faire en sorte que l’enseignement pénètre jusqu’à son intelligence, qui seule peut en conserver l’empreinte féconde ; l’amener par des questions bien enchaînées, à découvrir ce qu’on veut lui montrer; l’habituer à raisonner, faire qu’il trouve, qu’il voie ; en un mot tenir incessamment son raisonnement en mouvement, son intelligence en éveil ; pour cela, ne rien laisser d’obscur qui mérite explication, pousser les démonstrations jusqu’à la figuration matérielle des choses, toutes les fois qu’il est possible; dans chaque matière, dégager des détails confus les faits caractéristiques ; aboutir, en toute chose, à des applications judicieuses, utiles, morales ; — en lecture, par exemple, tirer du morceau lu toutes les explications instructives qu’il comporte ; — en grammaire, partir de l’exemple pour arriver à la règle dépouillée des subtilités de la scolastique grammaticale ; tirer les sujets d’exercices non des recueils fabriqués à plaisir pour compliquer les difficultés de la langue, mais des choses courantes, d’un incident de classe, des leçons du jour ; inventer des exemples sous les yeux de l’élève, ce qui pique son attention, les lui laisser surtout inventer lui-même et toujours les écrire au tableau noir; — ramener toutes les opérations du calcul à des exercices pratiques empruntés aux usages de la vie;  — n’enseigner la géographie que par la carte, en étendant progressivement l’horizon de l’enfant de la rue au quartier, du quartier à la commune, au canton, au département, à la France, au monde ; -— en histoire, sacrifier sans scrupule les détails de pure érudition pour mettre en relief les grandes lignes du développement de la nationalité, le progrès des idées sociales, les conquêtes de l’esprit qui sont les vraies conquêtes de la civilisation chrétienne; placer sous les yeux de l’enfant les hommes et les choses par des peintures qui agrandissent son imagination et qui élèvent son âme : tel doit être l’esprit des leçons de l’école. »

Je n’ai pas besoin de vous dire d’où est tiré cet admirable et substantiel résumé des recommandations les plus pratiques à la fois et les plus élevées : il n’y a qu’une plume en France qui ait le secret de ce style, et vous l’avez reconnue. (Applaudissements.)



III. INTUITION MORALE


Messieurs, je ne puis qu’esquisser très-rapidement la troisième partie de mon sujet. Ce n’est pas la moindre, mais c’est peut-être la plus facile. Je veux parler de l’intuition morale, et ne pouvant embrasser tout le sujet, je vous demande la permission d’en prendre seulement les deux points extrêmes : l’intuition morale s’appliquant à l’éducation morale et religieuse d’une part, à l’éducation sociale et civique de l’autre.
Là aussi, Messieurs, il y a matière à intuition; là aussi, il y a au fond de l’âme humaine des vérités qui sont simples et que nous demandons à l’instruction primaire de faire saisir aussi bien que les vérités de sens commun et les réalités sensibles.
« Il y a deux choses dont la majesté nous pénètre d’admiration et de respect, disait le philosophe Kant : c’est le ciel étoilé au-dessus de nos têtes, et la loi du devoir au fond de nos cœurs. » (Applaudissements.)
Menez un soir quelques-uns de vos élèves les plus âgés et les plus sérieux, menez-les à quelques pas de la dernière maison du village, à l’heure où s’éteignent les bruits du travail et de la vie, et faites-leur lever les yeux vers ce ciel étoilé. Ils ne l’ont jamais vu. Ils n’ont jamais été saisis de cette pensée des mondes innombrables, et de l’ordre éternel, et de l’éternel mouvement de l’univers. Éveillez-les à ces idées nouvelles, faites-leur apparaître ce spectacle de l’infini devant lequel se prosternaient les premiers pâtres de l’Asie et devant lequel tremblait comme eux le génie de Pascal.
Ouvrez-leur les yeux à ce ciel plein de mondes, qui revient tous les soirs nous rappeler ce que c’est que de nous, en nous mettant face à face avec le véritable univers. Cela aussi, Messieurs, c’est une leçon de choses. — Vous ne savez pas l’astronomie ? — Qu’importe ! il ne s’agit pas de science, il s’agit de faire passer dans l’âme de ces enfants quelque chose de ce que vous sentez. Je ne sais quelles choses vous leur direz, mais je sais de quel ton vous leur parlerez, et c’est l’important ; je sais comment ils vous écouteront; je sais que longtemps encore après que vous leur aurez parlé ils penseront à ce que vous aurez dit, et je sais aussi qu’à partir de ce jour-là, vous serez pour eux autre chose que le maître d’orthographe et de calcul. (Applaudissements.)
Et quant à l’autre majesté dont parle le philosophe, quant à cette majesté du devoir et de la conscience, est-il besoin de vous dire avec quelle puissance d’intuition vous pouvez la leur faire saisir, contempler, admirer, adorer ? Est-il besoin de vous dire qu’à chaque heure de la classe, qu’en dehors de toutes les classes, et par votre parole et par votre exemple, il vous appartient de leur donner l’intuition de ce qu’il y a de plus noble dans la nature humaine ? Croyez-vous que cette partie de votre
tâche soit secondaire ? Non, assurément. Peut-être craignez-vous au contraire, qu’elle ne vous entraîne bien loin, qu’elle ne vous fasse sortir de votre rôle ! Pour moi, Messieurs, je ne le crains pas ; je n’admettrai jamais que l’instituteur sorte de sa sphère, quand il donne le meilleur de son âme soit à l’éducation du sens moral et religieux qui, comme tous les autres, a besoin d’être cultivé, soit à l’instruction civique, à l’éducation du citoyen. Je n’admettrai jamais qu’on lui dise que sa tâche est finie avec le dernier livre qu’il ferme et avec la dernière leçon qu’il fait réciter. (Applaudissements.)
Sans doute, dès qu’on touche à ce domaine, la matière est délicate, les difficultés sont grandes, nombreuses, il y en a qui vous viennent du dehors, des circonstances, des relations, des préjugés, des méfiances, de divers obstacles ; ce sont celles qui m’inquiètent le moins pour vous; celle qui me préoccupe surtout, c’est la difficulté d’être toujours sur ce terrain à la hauteur où vous voudriez être, de parler toujours dignement de ces grandes choses, de présenter à vos enfants une suffisante image de l’idéal moral et d’en entretenir le culte dans leur âme. Je dis l’idéal, rien de moins, et ce n’est pas trop pour l’instruction populaire. Si c’est un superflu, si c’est un luxe, c’est le plus nécessaire de tous, c’est le seul que la démocratie ne puisse se retrancher sans périr. (Nouveaux applaudissements.)
Mais il y a une règle que vous pouvez suivre pour éviter de vous égarer. Dans toutes les questions morales et sociales, tout ce qui est intuitif est de votre ressort et fait partie de l’éducation populaire; le reste n’en est pas.
Dans ces régions délicates qui confinent à la religion et à la politique, dans ces grandes notions morales, fondement de l’éducation de l’homme et du citoyen, il y a deux parts à distinguer. L’une qui est aussi vieille que l’humanité, innée à tous les cœurs, ancrée dans toutes les consciences, inséparable de la nature humaine, et par là même claire et évidente à tout homme ; c’est le domaine de l’intuition. Il y en a une autre qui est le fruit de l’étude, de la réflexion, de la discussion et de la science; elle contient des vérités non moins respectables sans doute, mais non aussi éclatantes, non aussi simples, non accessibles à toute intelligence. Celle-là Messieurs, cette partie sujette à la controverse et à la passion, et qui dans tous les cas exige des études spéciales longues et approfondies, elle n’appartient pas à l’enseignement populaire : n’y touchez pas. (Applaudissements.)
Mais l’autre, elle vous appartient, et vos élèves la réclament. On prétend que ce sont là des questions réservées qu’il faut vous interdire. Répondez que ce ne sont plus des questions, mais des vérités capitales, indispensables à tous nos enfants. Les croyances confessionnelles peuvent varier, comme les opinions politiques; ce qui ne vacille pas, c’est l’intuition de l’infini et du divin, de la perfection morale, de la justice, du dévouement; c’est l’intuition de cette autre grande chose qu’on n’a jamais pu définir et qu’on n’en aime pas moins pour cela : la patrie!
Ah! qu’on ne nous parle pas d’interdire toutes ces choses sacrées à l’éducation du peuple. Qu’on ne vienne pas nous demander de faire de l’instituteur une machine à enseigner, un cœur neutre, un esprit fuyant et timoré, un être nul par état, qui craindrait de laisser surprendre une larme dans ses yeux lorsqu’il parle de sa foi religieuse, ou un tremblement d’émotion dans sa voix lorsqu’il parle de la patrie ou de la République. (Explosion de bravos.)
M. Duruy vous a dit en un temps : Formez des hommes ! Il y a, Messieurs, à cela une condition : soyez des hommes. (Applaudissements.)
Maintenant, la mesure et la modération, la prudence, la circonspection la plus attentive à n’exercer aucune pression sur les enfants, c’est le premier de vos devoirs professionnels. Il vous est trop familier pour que j’aie besoin d’y insister; mais que le souci de ce devoir n’aille pas jusqu’à vous faire perdre de vue une autre obligation plus essentielle que jamais dans une société et dans un temps comme le nôtre, celle d’empêcher que l’enseignement populaire ne se matérialise et ne s’abaisse. Ce n’est pas un droit pour vous, Messieurs, c’est un devoir d’éveiller à la lumière morale les yeux du cœur et de la conscience aussi bien que ceux de l’esprit, de ne laisser en dehors de votre enseignement aucune de ces suprêmes vérités d’intuition dont l’âme a besoin pour vivre. Y renoncer, ce serait laisser déshériter nos enfants !
Je sais bien qu’il y a des gens qui vous diront : Il n’y a pas d’intuition morale, il n’y a pas de vérité fondamentale et commune dans l’ordre religieux, social, moral, politique. Nous sommes absolument divisés, nous sommes deux peuples, ennemis irréconciliables, ayant des traditions différentes dans le passé, des aspirations différentes dans l’avenir ; nous ne voulons pas que nos enfants soient élevés sur une sorte de terrain commun où ils désapprendraient nos haines et nos divisions. » Oui, malheureusement, il y a des esprits qui pensent ainsi ; mais il y en a d’autres, il y a une légion d’hommes en France qui passe sa vie à dire et à prouver le contraire, et cette légion c’est vous. (Vifs applaudissements.) C’est vous qui avez la mission d’être au milieu de nous les conciliateurs par excellence. Et comment ? En étant des hommes de juste milieu ? Non certes ; cette prudence effacée et banale ne vous donnerait ni crédit ni action; ce qui vous permet de remplir avec autant de modestie que d’efficacité cette fonction sociale, c’est que vous êtes par profession non les hommes d’une secte on d’un parti, mais exclusivement les hommes du pays. (Applaudissements prolongés.)
Messieurs, c’est là ce qui vous élève et ce qui fait votre indépendance : vous ne vous mêlez pas aux luttes journalières ; vous ne prétendez pas à une influence, à un rôle, à des honneurs ! Non : aux autres le présent, à vous l’avenir ! Vous avez nos enfants, c’est la meilleure part de nous-mêmes. Si la France d’aujourd’hui est profondément divisée, grâce à vous la France de demain le sera moins; et dans cette œuvre de rapprochement tous les bons Français vous soutiennent.
Si l’un vient vous dire : « Mais, prenez garde! en tenant aux enfants un langage moral et religieux, vous allez déplaire à monsieur un tel, qui est athée, à ce qu’on assure » ; —si un autre vous dit au contraire : « Prenez garde ! en parlant à ces enfants de liberté, d’égalité, des principes de 89 ou de cette nuit mémorable où les plus nobles des Français ont déchiré de leurs mains tous leurs privilèges, vous allez déplaire à tel clérical acharné », vous leur répondrez : Non, je ne crains rien, parce que je ne dirai rien à ces enfants qui ne soit écrit de la main même de la nature au fond de leur cœur, je ne crains rien parce que je ne sers personne. Ni ce radical athée, ni ce clérical réactionnaire ne sont les monstres que vous vous figurez. L’un et l’autre aime ses enfants, et me saura gré des efforts que je fais non pour les soustraire à l’influence paternelle, non pour leur imposer mes opinions particulières, mais pour leur donner un premier fonds d’idées généreuses et de bons sentiments, pour leur faire, à l’aide des seules vérités que l’intuition met à leur portée, une âme noble, pure, droite, éprise du beau et du bien, capable d’aimer Dieu, l’honneur et la patrie.
Eh! Messieurs, qui sommes-nous donc, pour qui nous prenons-nous les uns les autres, de prétendre que cela même ne nous est plus possible, qu’il n’y a plus de terrain commun entre nous, entre nos enfants! Instituteurs français, prouvez-leur qu’il y en a un malgré tout. C’est à vous d’en prendre possession, si vous voulez être les éducateurs de notre jeunesse; et par là, de notre société. Ici, soyez fermes ; ici, défendez, non votre droit, mais le droit des jeunes générations; préparez-nous, préparez-leur un avenir de paix et de progrès : rapprocher les enfants, c’est presque réconcilier les pères, et c’est ce que la France vous demande. (Longs applaudissements.)
Je conclus, Messieurs, par où j’ai commencé. Le domaine de l’instruction primaire embrasse tout ce qui est intuitif : il va au delà sur certains points, mais il ne peut rester en deçà. Permettez-moi de revendiquer pour l’enseignement du peuple, cette parole du poëte latin que ces voûtes ont maintes fois entendues : « Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. » On a souvent appliqué cette maxime au grand enseignement universitaire ; je l’applique à l’enseignement primaire : lui aussi doit développer l’homme tout entier. Il n’a pas à sa disposition les longues années et la précieuse discipline des études classiques, mais il a du moins, et cela peut suffire, les instincts que la nature donne à tout homme, la lumière du bon sens, les forces natives et spontanées du cœur et de l’intelligence, enfin cette vive intuition du vrai, du beau et du bien dans tous les ordres qui est, entre nous tous, le titre de parenté le plus indéniable.
Si l’instruction primaire sait faire usage de ces ressorts naturels et puissants ; si elle est une éducation, et non pas seulement un apprentissage ; si, prenant chacune de nos facultés intellectuelles et morales, elle nous les rend toutes meilleures, plus droites et plus fortes, il n’y a plus entre l’instruction populaire et l’instruction classique différence de nature, mais seulement différence de degré. L’une s’arrête plus tôt que l’autre, mais toutes deux marchent dans la même voie, toutes deux font des hommes. C’est par là, Messieurs, que même nos humbles études primaires se rattachent à l’Université; c’est par là qu’elles en recueillent les vieilles et précieuses traditions. Sachez vous les approprier, soyez-en les dignes héritiers, et ce que Bossuet et Fénelon croyaient à peine possible pour l’éducation d’un prince, faites-le pour l’éducation d’un peuple. (Vifs applaudissements.)
J’ai fini, Messieurs. Il ne m’appartient pas de clore cette série de réunions, M. le ministre le fera. Mais j’ai un devoir à remplir : j’ai à vous remercier en mon nom et au nom de tous ceux qui ont parlé ici avant moi.
Nous avons été tous également frappés et reconnaissants de l’attention soutenue et de la bienveillance avec lesquelles vous nous avez suivis. Nous aussi, nous aurions voulu vous entendre; autant, plus que vous peut-être, nous eussions souhaité qu’il fût possible d’organiser, au lieu de ces conférences, un complet et régulier échange d’idées entre nous tous. Mais il faut du temps pour arriver à une telle organisation; des instituteurs expérimentés comme vous le comprennent mieux que personne. Les congrès pédagogiques sérieux ne s’improvisent pas, et M, le Ministre vous a indiqué le meilleur moyen de les préparer en recommandant à votre zèle les conférences pédagogiques cantonales et régionales. Espérons qu’un avenir prochain montrera tout ce qui peut en sortir.
Je vous demande pardon d’avoir été si long et tout ensemble si incomplet. Je n’ai voulu, au fond, que vous recommander une chose bien simple, et sur laquelle nous devons être d’accord. Dans tout votre enseignement, à toute heure, et jusque dans les heures de défaillance, dont on ne peut pas toujours se défendre, ayez foi dans la nature humaine, ayez foi dans l’enfant, dans ses facultés, dans son bon vouloir, dans tous ses bons instincts que vous avez à développer ; et puis ayez foi dans cette forme particulière de la nature humaine, qui s’appelle le caractère et l’esprit français. Respectueux pour le passé, reconnaissant pour la longue suite d’ancêtres qui nous ont frayé la voie, curieux de ce qui se dit et de ce qui se fait de bon autour de nous, soyons avant tout et résolument les hommes de notre temps et de notre pays; et quant à l’avenir, je n’ai qu’un mot à en dire : Confiance, Messieurs, oui, confiance dans les destinées de notre patrie, parce que c’est la France, et de notre gouvernement, parce que c’est la République. (Plusieurs salves d’applaudissements.)


[1] Tout homme est intuitivement convaincu de la vérité de cette proposition : deux est plus qu’un» (Boulainnvilliers.) — Locke appelle avec quelque raison connaissance intuitive celle qui se forme du premier du plus simple regard de l’esprit. (Le Père Buffier.)
[2] La Bruyère disait déjà bien justement : « On s’élève à la ville dans une indifférence grossière des choses rurales et champêtres. On distingue à peine la plante qui porte le chanvre de celle qui produit le lin, et le blé froment d’avec les seigles, et l’un ou l’autre d’avec le meteil... Un grand nombre de bourgeois connaissent le monde, et encore par ce qu’il a de moins beau, et ils ignorent la nature, ses commencements, ses progrès, ses dons et ses largesses. » [Caractères, fin du chap. VII.)
[3] Plan d’études et leçons de choses pour des enfants de six à neuf ans, par Jules Paroz, directeur de l’école normale libre de Peseux, près Neufchâtel; 2e édition; Paris, Fischbacher, petit in-8°, 160 pages.
[4] Même ouvrage.

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